Les premiers randonneurs, nos précurseurs.

          Combien de cyclos se sont demandés quel est le point commun entre la draisienne et nos vélos actuels ? L'apparence est éloignée mais l'état d'esprit de l'utilisateur est le même. Dès le début de la commercialisation de la draisienne, l'appel de la route fut immédiat. Drais Von Sauerbronn, l'inventeur de ce cycle dépourvu de pédales, parti le 12 juillet 1817 de Mannheim pour atteindre Schwetzingen soit 14,400 kilomètres en une heure. C'était la première randonnée.

          "Le Vélocipède illustré" (premier périodique consacré au vélo) paru le 1er avril 1869, relate le parcours de Londres jusqu'aux Indes par Harry KEMP. Ce fut donc le premier périple accompli par un homme. Déjà les "touristes" existent et s'organisent. Le 20 mai 1869 Desmartis publie une méthode de voyage. Début septembre 1873 Fabrice Dupin, parti de Paris arrive à Toulouse en 7 jours après avoir parcouru 740 km. Est-ce la première "Flèche" ?. En 1884, Joseph et Elisabeth Pennell, un jeune couple d'Américains qui venaient de se marier, effectuent, en tricycle, un voyage de Florence à Rome. Sans doute le 1er voyage de noce à "vélo". Février 1891 voit la création de l'Union Vélocipédique de France qui gère la compétition mais également l'usage du vélocipède à but touristique. Elle organise la première concentration, à Pâques en 1888, à Amboise (concentration à Pâques : celà doit évoquer quelque chose pour les cyclos actuels !), puis le premier brevet de randonneur en 1890 : 100 km qu'il faut parcourir en moins de 6 heures. 

          En 1888 Maurice Martin relie Bordeaux à Genève en tricycle. Il considère que ceux qui parcourent de 150 à 225 km par jour sont "des mangeurs de route" que la bonne mesure consiste à parcourir une centaine de kilomètres quotidiens. Pour faire face au "bruit" provoqué par les 500 coureurs répertoriés, les 30 000 touristes de l'époque, mécontents, quittèrent l'U.V.F. et constituèrent le "Touring Club de France" le 26 janvier 1890. Les 13 et 14 août 1905 le T.C.F. organisa un concours de bicyclette de tourisme sur un parcours empruntant les cols de la Chartreuse, soit 240 km avec 8000 mètres de dénivellation positive.

          La découverte du monde s'ouvrait aux courageux et aux intrépides. En 1889, 2 Australiens arrivent à Bruxelles après avoir parcourus 9000 km en 6 mois. De 1892 à 1894 Allen et Sachtleben furent les premiers à boucler un tour du monde. En 1896 un anglais du nom de Thomas Steven, parti de San Francisco, passa par Londres et Constantinople (actuellement Istanbul) pour arriver en Inde. En 1897, Maurice Martin reçoit le titre de "premier touriste de France". Il comptabilise alors 140 000 km parcourus en tricycle ou à bicyclette. Il est l'auteur de chroniques sur la propagation en France de l'idée vélocipédique, résultats d'un voyage de 8 300 km du 5 mars au 17 septembre 1897.

          Il semble que le mot "cyclotouriste" ait été inventé par Paul de Vivie, connu sous le pseudonyme de "Vélocio". Il est né le 29 avril 1853 à Pernes les Fontaines, village bien connu des Fléchards de Pâques en Provence. Il est décédé le 4 mars 1930 suite à un accident avec un tramway le 27 février. Il différenciait  le "promeneur" (tout le monde peut être plus ou moins cycliste) du "touriste" (beaucoup plus rare). Pour lui, une bonne journée c'était 200 km à bicyclette. Pour les voyages de plusieurs jours, son bagage pesait seulement 7 kg. Sa passion fut l'amélioration constante du matériel et en particulier la "polymultiplication", qui lui permettait de disposer de plusieurs développements. L'idée était refusée par les coureurs qui disaient "Nous montons sans tricher". Ils retournaient leur roue arrière en bas des cols. Il fallut attendre 1937 pour que l'usage du dérailleur arrière soit autorisé au Tour de France.

          Ainsi équipé "Vélocio" s'attaqua à de nombreuses montées, parfois très difficiles : ce fut fréquemment le col du Grand Bois (dont une marque de cycles et pneumatiques japonais a repris le nom en hommage à Vélocio) connu aussi sous le nom du col de la République, mais également le Mont Ventoux, les cols des Alpes, parfois ceux des Pyrénées. Du 14 au 17 juillet 1900, en 88 heures, il parcouru 660 km (9000 m. de dénivellation) au cours d'un voyage en Suisse, Italie et France par le Grimsel Pass, le Grand et le Petit Saint Bernard. Il effectua la montée de l'Izoard en 1902. En août 1909, sur 5 jours : 1000 km avec plus de 10 000 mètres de dénivellation et 9 cols franchis.

 Voici un groupe de randonneurs photographiés au sommet du col du Grand Bois, devant le monument dédié à Paul de Vivie, le 12 avril 1982, après les 24 heures Vélocio : vous avez certainement reconnus Loïc, Lionel, Jocelyne, Jean-Claude, René.

          Le 13 juillet 1903 il s'attaqua au Parpaillon avec une bicyclette munie de 6 développements allant de 8,40 m. à 2,75 m. Autour de lui se rassembla nombre de cyclos qui formèrent "l'école Stéphanoise". Elle avait pour ambition de placer la pratique au-dessus de la théorie et les résultats au-dessus des hypothèses :

          "Tout cycliste, de 20 à 60 ans, bien constitué peut tourister à bicyclette à raison de 200 kilomètres par jour avec une élévation de 2000 mètres pendant plusieurs jours consécutifs, et exceptionnellement faire une étape de 300 kilomètres avec élévation de 3000 mètres en 24 heures, repos compris, sans fatigue anormale"

          En 1920 il affirmait : "les randonnées de 20 heures, c'est là, vraiment, de l'excellente hygiène"

          Je viens d'évoquer les premiers randonneurs, mais il y eut rapidement des cyclistes qui se lancèrent dans des défis énormes. Le 1er tour de France, en 1903, donna l'exemple avec ses 7 étapes très longues. Mais ce n'était pas encore suffisant. En 1911 le magazine "Cycling" a lancé l'idée d'une épreuve dont l'objectif était de parcourir la plus grande distance, à vélo, pendant ... une année !! Cette année là le français Marcel Planes fut le 1er participant. Il établi donc le record avec 55 790 km. Il fallu attendre 1932 pour qu'un autre s'y attaque. L'Anglais Arthur Humbles parcourut 57 948 km. L'année suivante un professionnel Australien, Ossie Nicholson, porta le record à 70 766 km. En 1936 l'Anglais Walter Greaves l'améliora avec 73 037 km. Il rencontra des conditions atmosphériques dignes de la Sibérie (neige et verglas) qui entravèrent sa progression et le firent chuter jusqu'à 9 fois le même jour. Ses étapes quotidiennes varièrent de seulement 10 km à 442 km. 

         Quelques précisions sur Walter Greaves : (1907 - 1987) cet Anglais, végétarien, était amputé du bras gauche depuis l'âge de 14 ans ! Il utilisait un vélo dont la partie gauche du cintre était coupée au ras de la potence, avec les 2 freins sur la poignée droite et 3 vitesses par le système "Trivelox" (la chaîne était fixe mais les pignons coulissaient sur un axe). Sa tentative ne s'effectua que sur une durée de 345 jours, son vélo n'ayant  été livré que le 6 janvier et durant sa tentative il dut subir une hospitalisation de 15 jours suite à un accident. L'année précédente il s'était préparé en parcourant 294,5 km en 12 heures et 526 km en 24 heures.

          En 1937 il furent 3 à s'y confronter : l'Anglais Bernard Bennett avec 73 710 km, puis le français René Menzies s'approcha des 100 000 km avec un total de 99 073 km. L'Austrlien Ossie Nicholson (déjà lauréat en 1933) franchit cette barre et atteignit 100 837 km. Deux ans plus tard l'Anglais Bernard Bennett reprit la route pour porter le record à 104 812 km. Mais il fut dépassé immédiatement par son compatriote Tommy Godwin avec le 120 806 km. En 1972 Ken Webb a parcouru 128 747 km, mais sa performance n'a pas été homologuée.

          A signaler : en 1952, le français René Menzies, pour fêter ses 63 ans refit une tentative avec l'objectif de parcourir 63 000 km. Il échoua de très peu et parcourut seulement 62 785 km. Il a du être très frustré.

          Autre cyclo pas banal : l'Allemand Heinz Stucke, né en 1940, voyage autour du monde depuis l'âge de 20 ans et il n'a toujours pas l'intention de rentrer chez lui !

          Nos vélos ne ressemblent plus à ceux des contemporains de Vélocio, mais nous n'avons rien inventé !