1981 randonnée de La Baule à Nantes (1 616 km)

           Avertissement important :  ce récit a été écrit en 1981, avec l'état d'esprit qui était le mien à ce moment. Nous sommes actuellement en 2013 et je n'ai pas fait de vélo depuis 18 ans. Je peux dire que depuis mon état d'esprit "sportif" s'est "allégé" alors que mon coup de pédale s'est certainement très "alourdi". Ce récit est long comme la route qui va de La Baule à Nantes ! Installez vous confortablement et mettez vous dans l'ambiance : enfilez cuissard, maillot et chaussures cyclistes et gardez un bidon à portée de la main !

           Pendant l'hiver, j'avais décidé que l'objectif prioritaire de ma saison 1981 serait une épreuve de fond, se déroulant sur plusieurs jours pendant lesquels je serais tout à fait autonome. C'est la forme de cyclotourisme que je préfère pratiquer l'été durant mes congés annuels.

          Mon programme prévoyait d'abord ma participation à une randonnée permanente organisée par la F.F.C.T. : la "mer-montagne" qui part de La Baule et se termine à la station de sports d'hiver de Superbagnères, à 19 km de Luchon. C'est d'ailleurs de Luchon que partirait le lendemain après-midi le brevet cyclo-montagnard à destination de Bayonne. De là il ne me restait qu'à enchaîner trois relais de France pour rentrer au pays nantais par Hendaye, Bordeaux et La Rochelle.

          Sur le papier, le programme est alléchant mais pas tellement impressionnant : 1 616 km en 6 jours dont près de 24 heures d'arrêt à Luchon. Soit 1/3 du Tour de France en empruntant des parcours très variés : de la plaine, des routes vallonnées et de la haute montagne.

          La participation à toutes ces randonnées implique un engagement à l'avance dans des délais imposés. Ce que j'ai fait. Je prévoyais d'y prendre part seul mais, peu avant le départ, René Herbette se propose de m'accompagner. Nous partirons donc tous les deux car j'ai réussi à faire accepter son engagement par le responsable fédéral.

          Le mercredi 12 août à 17h00 nous sommes tous les deux sur le parking du "Radar Super" de la Baule. Le départ de la randonnée est prévu à 18h00. Comme je l'ai déjà écrit nous n'aurons pas de voiture suiveuse. Il nous faudra donc pourvoir nous-mêmes à notre nourriture et à notre couchage. En conséquence nos vélos emportent tout ce qui nous a semblé indispensable. Si René a su "sélectionner" ses bagages, je n'ai pas su m'y résoudre et mon vélo s'en trouve lourdement chargé. Ma sacoche avant est d'un volume inhabituel, tellement large qu'elle est coincée entre les poignées de frein. l'avant déborde du porte-bagage et recouvre en partie mon phare, ce qui n'améliorera pas la visibilité nocturne ! Sur mon porte-bagage arrière j'ai solidement fixé mon sac de couchage.

 Le 12 août 1981 au départ à La Baule

départ de La Baule

            Avant de partir j'ai eu la curiosité de peser tous ces accessoires. La sacoche avant accuse le poids très respectable de 6,060 kg alors que le sac de couchage et ses sandows pèsent 1,030 kg. A tout celà ajoutez deux bidons. Je dispose aussi d'une torche en complément de l'éclairage fourni par un alternateur Sanyo.

          Puisque vous avez fait connaissance avec nos vélos, la randonnée va pouvoir commencer ! Tout d'abord nous faisons une série de diapositives devant la pancarte de "La Baule". Puis c'est au Syndicat d'Initiative que nous obtenons notre coup de tampon officialisant notre départ.

          Nous atteignons rapidement le pont qui, depuis quelques années, enjambe l'estuaire de la Loire, de Saint Nazaire à Mindin. Au-delà je retrouve des routes archi-connues sur lesquelles il y a dix-sept ans j'ai appris à pédaler. Un peu avant Chauvé nous rencontrons mon père venu à notre rencontre sur un de ses vélos de course. Nous prenons le dîner chez mes parents. J'avais prévu un arrêt d'une heure mais nous nous arrêtons 1h45, comme de vrais touristes bien décontractés !

          Nous repartons après avoir sorti de notre sacoche les vêtements de nuit. Contrôle par carte postale à Machecoul. Nous traversons le département de la Vendée par La Roche sur Yon et Luçon ou nous nous arrêtons une demi-heure pour satisfaire au contrôle par carte postale et déguster une grande boite de riz au lait.

          Nous venons de traverser le petit village de Moreilles lorsque l'ampoule avant du vélo de René rend l'âme. Nous effectuons le remplacement sur le pont qui enjambe le canal du Clain. Il est déjà 3 heures du matin. Depuis Luçon, et jusqu'au-delà de Marans, nous parcourons le marais qui est sillonné de canaux. Je note l'absence totale de dénivellation ce qui nous permet de rouler à une excellente moyenne (ainsi à chaque arrêt nous pouvons prendre très largement notre temps).

          Notre prochain contrôle est fixé à Surgères. Nous y terminons notre riz au lait en 37 minutes, bien tranquillement ! Jusqu'à Saintes nous empruntons des routes plus tourmentées et au relief vallonné. Bien qu'il n'y ait pas de contrôle à Saintes nous stoppons notre randonnée pour reprendre des forces en consommant quelques croissants arrosés d'un grand café noir.

          Le contrôle de Jonzac arrive à point pour nous permettre d'échanger nos vêtements chauds de la nuit contre le cuissard court et le maillot à manches courtes qui attendaient dans la sacoche. Ici l'arrêt dure quarante minutes. La température a fortement augmenté, il fera certainement très chaud aujourd'hui.

          Mais, que font les cyclistes de fond au cours de leurs raids ? Ils observent, bien sûr ils pédalent, mais aussi ils mangent. Pour nous deux, l'heure du déjeuner sonne à Saint Savin. En 1 heure et 20 minutes, au pied d'un arbre chétif qui n'arrive pas à nous diffuser suffisamment d'ombre, nous faisons le plein d'énergie. Mon menu est copieux ! Au village j'ai acheté des poires, des pêches, des brugnons, des yaourts et de l'eau minérale. A la fin de ce repas pantagruélique nous voyons passer un jeune cyclo campeur solitaire dont le vélo est joliment habillé d'une plaque de cadre. Peut-être fait-il la même randonnée permanente que nous ? Pour le savoir, rattrappons-le.

          Effectivement il se rend, lui aussi, de La Baule à Superbagnères. Il a pris son départ 9 heures avant nous mais a sagement passé sa nuit dans son sac de couchage, à la belle étoile. Il est adhérent d'un club de Vichy bien connu. Cette année, à Pâques, il s'est offert la diagonale de Brest à Menton, et plus récemment la randonnée de Zurich à La Rochelle ! Demain comme nous, il participera à Luchon-Bayonne. Il y a quand même des clubs heureux dont les jeunes adhérents perpétuent la tradition des grandes randonnées tant prisées par Vélocio. Et moi qui pensais que tous les jeunes avaient la langue plus musclée que les mollets ! Nous roulerons un bon moment en compagnie de cet excellent randonneur.

          A Saint Jean de Blaignac chacun monte à son rythme une côte en lacets dont la dénivellation est assez importante. Le regroupement général a lieu à un stand de dégustation de crus locaux, René et notre ami apprécient le verre de vin qui leur est offert . Quant à moi je bois deux verres ... (d'eau, bien sûr).

          A Sauveterre de Guyenne la chaleur est telle qu'un long arrêt est nécessaire sous les arcades qui protègent les magasins des rayons du soleil. Je me confectionne un sandwich au pâté qui a de la difficulté à passer. Par contre le contenu d'un pot de confiture de fraise est plus rapidement englouti !

          A partir de La Réole le parcours emprunté par notre ami de Vichy diffère du nôtre pendant quelques kilomètres. Nous avions prévu de nous retrouver ensuite, malheureusement, ce ne sera pas le cas.

          René et moi nous nous arrêtons dîner à Grignols. Cet arrêt sera encore particulièrement long puisque nous ne repartirons qu'au bout de deux heures ! Je n'ai pas pu faire honneur aux frites qu'on nous a servies, mais j'ai suffisamment mangé pour reconstituer toutes les forces dépensées pendant cette journée. Après le repas nous téléphonons à nos épouses respectives. Mais pendant que j'appelle Jacqueline, René est pris d'un coup de sommeil. Il commence déjà sa nuit, assis sur le trottoir. J'aurais bien voulu profiter de la tiédeur de cette soirée et des bienfaits de l'arrêt au restaurant pour rouler encore pendant deux ou trois heures. Mais il n'y a rien à faire, René a trop sommeil, et après cinq petits kilomètres au ralenti, nous décidons de nous arrêter pour dormir.

          Il est 4h40 quand nous repartons après le pliage de nos sacs de couchage. Contrôle par carte postale à Casteljaloux. A Lavardac c'est moi qui ai sommeil. Un pâtissier très aimable nous offre trois gâteaux que nous nous partageons. Ensuite le parcours nous emmène par Nérac, Saint Jean Poutge, Mirande et Lannemazan où nous grimpons une longue côte avant l'entrée de la ville. Nous pointons chez un vélociste qui s'intéresse beaucoup à nos montures. A Gourdan Polignan nous reprenons des forces, assis sur les bancs du jardin public. Jusqu'à Luchon le parcours sera assez facile. Nous roulons un moment en compagnie de cyclos campeurs Belges qui assurent une vitesse assez élevée en se relayant sous les ordres d'un capitaine de route qui reste toujours en dernière position, bien abrité dans les roues. Ce devait être le plus malin des quatre !

          A Luchon nous laissons nos bagages à l'hôtel où est hébergé Jean. Celà fera quelques kilos en moins pour gravir les 19 km qui mènent à la station de Superbagnères.

          Après un début de grimpée en commun, René s'en va seul. Quand j'arrive, tout frais, sans avoir fait d'efforts musculaires grâce à un braquet réduit, il m'attend devant une boisson rafraîchissante.

       profil de la montée à Superbagnères

 

          Nous effectuons une descente prudente jusqu'à Luchon où nous dînons dans une pizzéria, sur les fameuses allées d'Etrigny, où fourmille une foule de touristes et de curistes qui viennent ici, un mois par an, réparer les outrages qu'ils ont fait subir à leur corps les onze mois précédents. René et moi n'avons pas ce genre de problèmes; nous ne nous privons pas, et à la fin d'un excellent repas, nous dégustons une énorme glace flambée. Mais il est bientôt 22 heures et nous n'avons pas de chambre. Dépêchons nous si nous ne voulons pas dormir une nouvelle fois à la belle étoile. Ce ne serait d'ailleurs pas dommage car la température est agréable.

          Au Syndicat d'initiative un tableau d'affichage lumineux nous renseigne : tous les hôtels de la ville sont complets. A ce moment nous faisons la connaissance d'un coureur de Luchon qui se propose de nous aider. Malgré le peu d'espoir qu'il nous reste nous partons avec lui à la découverte de l'hôtel providentiel. Mais rien à faire ! Aussi nous retournons à l'hôtel où loge Jean pour récupérer nos sacoches. De l'autre côté de la rue nous découvrons un autre hôtel : "l'ensouleillade". Le cycliste de Luchon m'y accompagne pendant que René, terrassé par le sommeil, garde nos bagages en dormant à poings fermés.

          L'hôtelier est très serviable mais son établissement est également complet. Il accepte pourtant de nous héberger. Nous n'aurons pas de lit mais nous serons à l'abri dans une salle annexe. Il faudra dormir par terre. Qu'importe. Je vais annoncer la bonne nouvelle à René. Il s'endort de suite, roulé dans une couverture. Quant à moi le besoin de dormir ne se faisant pas encore sentir, je fais ma toilette avant de m'allonger bien au chaud dans mon sac de couchage. La nuit est déjà sérieusement entamée : il est 23h45.

          Ce samedi matin nous prenons le petit déjeuner avec les clients de l'hôtel. Au menu : pain, beurre et confiture plus café pour René et chocolat pour moi. C'est insuffisant pour calmer mon appétit et je commande un grand potage que René trouve à son goût. 

          Je n'oublie pas que cet après-midi je vais participer à Luchon-Bayonne. Après une promenade touristique dans Luchon, je rejoins le lycée qui sert de lieu de rassemblement aux cyclos. A midi j'assiste au départ du groupe dont fait partie René. Je retrouve Richard qui partira comme moi à 15h00. Nous décidons de déjeuner ensemble au restaurant.

          Notre groupe est sans doute celui qui a le plus de participants. Fidèle à mon habitude, dès le départ je roule en tête, ceci uniquement pour éviter les chutes. Comme mon chargement est conséquent je n'insiste pas dès que le peloton est étiré. L'escalade du Peyresourde est aisée avec mon braquet réduit bien que la chaleur soit très forte. Le goudron fond et colle à nos roues. Dès les premiers kilomètres, des cyclos qui viennent de me dépasser, s'arrêtent déjà écoeurés par la chaleur. Ils partent, à pied, à la recherche d'une ombre bien improbable. Que sont-ils venus faire dans une grande randonnée de montagne ? Ils auraient dû s'échauffer pendant 700 km comme René et moi !

          A ceux qui roulent à côté de moi, j'essaye de remonter le moral lorsque je les devine fléchissants :  " Ce n'est rien ! Vous allez voir dans le 2ème col ! "

          J'ai également quelques paroles de réconfort pour ceux qui montent à pied, les semelles dans le goudron : " Attendez la Mongie, là-haut çà monte à 12% !" 

          C'est également dans ce col de Peyresourde que l'on me décerne des félicitations qui me vont droit au coeur :  " Il n'y a pas beaucoup de vélos de randonneurs comme le vôtre, aujourd'hui "  Merci, ami cyclo. C'est vrai que ce brevet montagnard est "couru" par de nombreux cyclos en vélo de course, ce qui personnellement, ne me dérange absolument pas. Je suis très conscient d'être beaucoup plus fort qu'eux, même avec ma sacoche, mes pneus, ma dynamo et mes garde-boue métalliques. Ce qui m'ennuie par contre c'est de constater qu'ils n'ont aucun ravitaillement sur eux, ce qui implique qu'ils ont une voiture suiveuse. Pour faire une randonnée de 325 km !! Si je l'admets sur les grandes distances, je n'en comprends vraiment pas l'utilité sur ces brevets.

          Après le Peyresourde, l'Aspin est le 2ème col qui nous est proposé au menu. Nous montons par Arreau, versant est. C'est une douce pente, dont l'intérêt est de permettre ensuite, par le versant opposé, de descendre à Sainte Marie de Campan sans fatigue. Là commence le 3ème col : celui du Tourmalet, un vrai col avec une pente moyenne de 10% sur les 7 derniers kilomètres : c'est si intéressant et sympathique que j'en arrive à oublier les quelques centaines de bornes déjà parcourues.

          A Sainte Marie de Campan je fais mes emplettes pour le "repas" du soir. Pendant cet arrêt d'une demi-heure je fais la connaissance de deux cyclos Poitevins qui effectuent le Tour de France Randonneur. J'aurai plus tard l'occasion de vous reparler d'eux. J'avais décidé de faire ce brevet montagnard très doucement (en tenant compte de la suite de mon programme), c'est pourquoi j'adopte une allure souple, paisible et très régulière qui semble faire des adeptes si j'en juge le nombre de cyclos qui s'accrochent à mon porte-bagage arrière. Il en sera ainsi jusqu'à proximité de La Mongie où ils n'ont pas compris ce qui se passait : alors que pour eux la pente augmentait sensiblement pour atteindre les fameux 12% , moi je sélectionnais un braquet plus important et je les laissais sur place... se poser des questions.

          Presqu'au sommet du Tourmalet j'ai été saisi d'admiration devant la volonté d'un des participants : sans paraître forcer, sans trace de fatigue il allait franchir le 3ème col alors qu'il pédalait avec le handicap non négligeable d'une amputation de la jambe droite, sous le genou. De ce genou partait une prothèse qui était fixée à la pédale par une chaussure cycliste. Ni sa position, ni son allure ne laissaient deviner son handicap. S'il avait été habillé d'un cuissard long je ne m'en serais certainement pas rendu compte. Alors, vous qui n'avez pas osé participer, vous serez certainement présent lors de la prochaine édition, n'est ce pas ? 

          Au sommet du Tourmalet il y a un contrôle, mais pas de ravitaillement. Comme je suis prévoyant, depuis Sainte Marie de Campan je traîne dans ma sacoche ce qu'il faut pour réparer les dommages qu'aurait pu occasionner la montée des 3 cols. Je m'attable donc confortablement à la terrasse de l'unique café. Ensuite j'échange mon cuissard court contre un long et sous mon maillot je glisse mon coupe-vent habituel (ce coupe-vent n'est rien d'autre qu'un sac de plastique que je sors de ma sacoche en haut des cols et que j'y remets à la fin des descentes). Je n'utilise jamais de K-Way où d'imperméable qui nous mouillent par l'intérieur car ils provoquent une forte sudation. Je ne mets jamais de pull ou de survêtement dans les descentes, car de toute façon il faudrait l'enlever dans la montée suivante. Chacun sait qu'en montagne les descentes sont beaucoup plus courtes que les montées ! A ceux qui, néanmoins, sont frileux, je suggère de descendre un peu plus vite, ils finiront bien par s'offrir quelques émotions qui les réchaufferont !!

          Quand je repars, après une nouvelle demi-heure d'arrêt, il commence à faire sombre. Je branche ma dynamo. A Barèges je stoppe ma descente pour admirer le feu d'artifice qui s'élève par saccades au-dessus de la ville. Je repars en compagnie de deux cyclos étrangers. Nous traversons Luz Saint Sauveur puis arrivons à Argelès-Gazost que je connais bien. Nous sommes plusieurs à faire la queue à la fontaine publique pour remplir nos bidons. Je me réfugie deux minutes dans les W.C. publics pour remettre mon cuissard court car la montée du Soulor commence dès la sortie de la grande place d'Argelès. C'est d'ailleurs pendant les deux premiers kilomètres que le pourcentage est le plus élevé. Ensuite la montée de ce col est assez particulière. Il y a fréquemment de longs passages plats et même en descente jusqu'à Arrens où le pourcentage redevient à peine correct. Comptez 8% en moyenne pour les sept derniers kilomètres. Cette nuit la lune éclaire les côteaux désertiques qui précèdent l'arrivée au sommet. La température est si agréable que pendant un long moment je monte torse nu. Je fais également une rencontre inattendue : je croise un groupe d'ânes en liberté ! J'en compte sept, plus un huitième, seul, quelques hectomètres plus loin. En montagne il est fréquent de renconter des animmaux domestiques. Bien tranquillement j'arrive au sommet du Soulor où a lieu le seul ravitaillement organisé sur le parcours. Il y a donc une belle affluence de cyclos. Les contrôleurs distribuent du café et du viandox bouillants ainsi que des jus de fruits et des sandwiches. Je ne suis pas le dernier à consommer et j'en redemande. Quatre chaises sont installées sous une grande tente : comme j'ai réussi à m'en octroyer une, je ne suis pas prêt de partir !

          A 2h00 du matin, après 40 minutes de décontraction, le ventre bien plein, je pars vers le sommet de l'Aubisque. Trois kilomètres descente puis sept kilomètres de montée : c'est le Cirque du Litor. C'est un paysage magnifique en plein jour, avec un splendide précipice à droite dans ce sens. La route y est très étroite, en mauvais état. Les nids de poule voisinent avec les grosses pierres tombées de la montagne. Il m'est agréable, cette nuit, de connaître parfaitement ce passage délicat. Par contre, même dans l'obscurité, le franchissement des tunnels de Bazen ne pose aucune difficulté.

          Nouvel arrêt au sommet de l'Aubisque où le bar reste ouvert toute la nuit pour les cyclos. Nouveau changement de cuissard imposé pour garder au chaud mes genoux qui n'apprécient pas toujours les changements de température.

          Chacun sait que la descente de l'Aubisque par Gourette et les Eaux Bonnes est assez rapide. Le revêtement de la route est en bon état et la pente varie de 8 à 10% pendant 10 kilomètres puis diminue sensiblement jusqu'à Laruns. J'ai remarqué que certains cyclos se font éclairer par des voitures suiveuses. J'attends sagement qu'un tel " convoi " s'engage dans la descente  et je prends place au meilleur endroit ; c'est à  dire en dernière position, bien éclairé par les phares de la voiture. Mon attitude est normale car le règlement interdisant les voitures suiveuses, je considère que celles qui sont là doivent se mettre à la disposition du plus grand nombre de cyclos et non pas d'un seul. Malgré celà la descente sera un enfer. Les cyclos qui sont en tête descendent mal et m'obligent à freiner sans cesse. Cette crispation continuelle provoque rapidement des douleurs insupportables aux doigts et surtout aux épaules. Le cou devient vite raide et particulièrement douloureux.

          A partir d'Oloron je roule en compagnie d'un participant que son épouse éclaire de toute la puissance des phares de sa voiture-assistance. " Tout à droite " pendant 40 kilomètres et j'arrive à Mauléon où je découvre nos deux amis du Gaz électro club d'Angers. Nous cheminons ensemble jusqu'au col d'Osquich que j'attendais avec impatience car la fringale me guette. J'ai faim, grand faim, surtout depuis qu'un triste individu qui tient commerce de café-restaurant à Mauléon n'a pas voulu me servir de petit déjeuner sous prétexte que son établissement n'était pas encore ouvert. A 7h00 du matin ! ( un jour où moi je fais du vélo et que j'ai faim !!! ).

          Au col d'Osquich j'attends longtemps un café et une part de gâteau basque. Mais l'effet est agréable et Bayonne n'est plus qu'à 80 kilomètres. Le pays basque étant truffé de bosses courtes mais sévères il y a intérêt à prendre de l'élan dans les descentes ! La fin du parcours est moins intéressante et la circulation automobile plus intense. Maintenant je suis seul. A Cambo je croise Louison et Jean Bobet, deux néo-basques, toujours fidèles au vélo. 

          Il est midi lorsque je tends mon carnet de route au contrôleur de l'Aviron Bayonnais qui y appose son tampon. J'ai ainsi le droit d'acheter une belle médaille-souvenir. Les amis du club sont déjà là. Aucun de nous n'est marqué, c'est heureux car René et moi devons encore faire 585 kilomètres. A la permanence d'arrivée je rencontre des cyclos connus : par exemple Edmond Ménard, de Cholet Vélo Sports, qui a effectué le parcours de Luchon-Bayonne avec son fils âgé de 16 ans. Heureux club !

          L'Aviron Bayonnais a bien fait les choses pour que l'arrivée de cette randonnée soit agréable : boissons et sandwiches à volonté ! Mais d'abord je prends une bonne douche et je me rhabille avec les mêmes vêtements ! Pas très logique. Il en est ainsi pour tous les cyclistes de fond qui décident de se passer de valets de chambre motorisés : non seulement les randonnées durent 25 à 30% plus longtemps mais il faut parfois ne pas être trop pointilleux sur la propreté des vêtements : elle est bien dure la condition humaine du cycliste de fond ! (non, je plaisante bien sûr).

          Après s'être longuement restaurés et sérieusement réhydratés René et moi quittons cette bonne ville de Bayonne pour rentrer dans nos familles. C'est là que le parcours du retour emprunte un tracé original. Sachez que la distance qui sépare Bayonne de Nantes (terme annoncé de notre ballade) est légèrement inférieure à 500 km. Il ne me semblait donc pas sérieux de choisir ce parcours trop court. J'avais décidé de nous rendre d'abord à Hendaye, ville frontière, la plus septentrionale du Pays Basque Français, d'y prendre le départ d'une série de Relais de France qui nous ramèneraient presqu'à notre point de départ. La boucle serait bouclée !

          Pour se rendre à Hendaye il faut utiliser les services de la N10. C'est bien dommage car elle est surchargée de voitures de vacanciers qui bouchonnent pare-choc contre pare-choc. Nous traversons d'abord Anglet puis arrivons à Saint Jean de Luz. Nous pénétrons dans la ville par une large rue en descente. Je précède René de quelques longueurs quand j'entends un bruit de ferraille derrère moi. Je me retourne et je suis tout étonné de constater que René est tombé. La forte pente de la rue l'emporte dans une glissade spectaculaire dont il se serait certainement passé. La roue arrière de son vélo a particulièrement souffert : plusieurs rayons sont cassés, d'autres sont desserés. Cette roue est devenue inutilisable. Comme nous ne transportons pas le matériel nécessaire à sa remise en état et qu'en ce dimanche tous les vélocistes sont fermés, René décide de rentrer , en auto-stop, à Bayonne à la permanence du brevet montagnard pour y trouver une roue.

          J'arrive donc seul à Hendaye.

           Le parcours est éprouvant et assez monotone car je roule le long d'une file de véhicules transformés en gastéropodes de la route. C'est un exercice dangereux et je dois fréquemment poser pied à terre. Je quitte au plus vite cette ville qui est sans doute agréable mais certainement pas en ce mois d'août où elle est envahie de voitures. Ma peine n'est pas terminée car pour repartir je dois emprunter de nouveau cette route ! Même en sens inverse ce n'est pas mieux. Je m'arrête dans un terrain de camping équipé d'une épicerie pour faire mes achats en vue du dîner. Il n'est que 16h15 mais le dimanche les autres magasins d'alimentation sont fermés. Je prends mes précautions !

          Quand je repasse à Saint Jean de Luz René y est toiujours car aucun véhicule n'a pu l'emmener, avec son vélo, à Bayonne. Je lui suggère donc de se rendre à la gare SNCF et de rentrer par le train. C'est la solution la plus sage. Ici se termine donc notre randonnée en commun. Je continue seul.

          A 19h35 je m'arrête à la sortie de Labenne, petit village des Landes pour un super pique-nique à base de raisins secs, amandes, pain d'épice et yaourts. La traversée des Landes est réputée pour sa monotonie. En réalité, ne s'y ennuient que ceux qui n'aiment pas suffisamment le vélo. Il y a trente neuf heures que je suis éveillé, mais je n'ai pas encore vraiment sommeil. Je me rends compte cependant que mes réflexes sont amoindris et je préfère m'arrêter à 22h15, cinq kilomètres avant Castets. Je bivouaque sous les pins, parmi la fougère. Comme je ne me refuse rien, je m'offre neuf heures d'un sommeil profond et réparateur !

          Plus loin l'aire de repos du Souquet est bien aménégée. J'en profite pour changer le maillot à manches longues contre celui à manches courtes, même transformation pour le cuissard, en plus d'un pommadage préventif au Cétavlon. 

          Je vous ai déjà expliqué que les randonneurs mangent beaucoup. Ce sont également de véritables gastronomes : voyez le menu du pique-nique que j'absorbe à Belin, le midi : miettes de thon sauce provençale, raisons secs et amandes (pour la lutte contre l'hypoglycémie) 4 yaourts au lait entier arômatisés à la fraise, le tout arrosé (tenez-vous bien) d'un litre de lait chocolaté.

          Tout l'après-midi une chaleur très forte essaiera vainement d'entraver ma progression. J'enlève mon maillot et je roule en tee-shirt. Je finis par arriver à Bordeaux. Je suis déjà passé à plusieurs reprises dans la capitale de l'Aquitaine et je trouve facilement mon chemin. Je continue en direction de Saint André de Cubzac. Je m'y arrête pour acheter un pack de 6 cacolac destinés à étancher ma soif. Deux minutes plus tard ils sont vides et je rends les emballages à l'épicière. Etonnement de la brave dame mais satisfaction de mes papilles gustatives !

          Maintenant le parcours est un peu plus accidenté car je sillonne les côteaux du vignoble bordelais. Je prends mon dîner, assis sur une murette, face à un grand portail au delà duquel j'aperçois une étendue de rangs de vigne très bien entretenus.

          Après Blaye la route traverse un marais. L'absence de côtes rend ma progression assez facile. Je profite de mon passage à Saint Ciers sur Gironde pour récolter un B.P.F. Bientôt il fait noir mais la douceur de la température donne envie de continuer à rouler. Il est minuit lorsque je m'arrête.

          Durant la nuit le froid est arrivé. Ce matin pour me réchauffer je roule assez vite jusqu'à Saujon où je prends mon petit déjeuner à 7h30. La matinée sera agréable et il ne se passera rien de particulier jusqu'à La Rochelle, terme du 2ème Relais de France. A partir de là j'ai déjà l'impression d'être un peu à la maison. Je n'ai pas de problème pour quitter La Rochelle par la D9 que je connais bien. Elle est totalement absente de relief et flâne dans les marais. Paisiblement j'arrive à Champagné où je dois faire contrôler ma carte de route. Devant le café-restaurant je remarque deux vélos de cyclos portant chacun la plaque de cadre du Tour de France randonneur. Ma surprise est grande de constater qu'il s'agit des deux randonneurs avec qui j'avais discuté à Sainte Marie de Campan deux jours plus tôt. Depuis ils avaient fort bien roulé puisque je viens seulement de les rattrapper, c'est à dire effacer le kilométrage supplémentaire de mon parcours par rapport à celui du T.D.F. (environ 70 km). Il nous est bien agréable de nous retrouver ainsi par hasard. Vous le constatez la France est bien petite lorsqu'on la voyage à vélo !

          Je viens de dépasser le cap des 1 500 km depuis le départ de cette ballade, c'est vous dire à quel point je suis bien affuté. Heureusement, car les 100 derniers kilomètres ne seront pas les plus paisibles du parcours. Je dois, à 3 reprises, livrer bataille face à des couraillons qui n'hésitent pas me doubler en me jetant au passage un regard ironique qui a sur moi un effet immédiat : sur le champ j'abandonne le petit braquet que je moulinais, pour me régaler de ce que mon vélo possède de plus grand en matière de développement. A chaque fois s'est déroulée une partie de manivelles pendant laquelle j'oubliais le poids de mon barda pour ne penser qu'au principal : redonner à chacun la place qu'il mérite.

          Ces accélérations successives, si elles prouvent mon excellent état de fraîcheur en cette fin de parcours, eurent le mérite de m'amener rapidement à Nantes que j'atteignis donc sur le score de 3 victoires à 0 en ma faveur ! Je venais d'atteindre le 1 616ème kilomètre quand Pierre Matignon m'apposa le dernier tampon-contrôle.