1990 Léman - Adriatique aller-retour

        Parmi les grandes randonnées en montagne " Léman - Adriatique " occupe une place prestigieuse. Les Alpes Suisses et Italiennes sont réputées être plus difficiles car plus pentues que la partie Française de ce massif montagneux. De plus les paysages des Dolomites sont vraiment à couper le souffle. Pour les gourmands des cols alpins il est possible de faire cette randonnée dans les deux sens, donc éventuellement l'aller par un parcours et le retour par l'autre :

          • La randonnée Préalpine sur le parcours de Thonon les bains à Venise (ou l'inverse) permet de franchir 68 cols en 1 209 km (23 120 m de dénivellation).
          • La randonnée Alpine sur le parcours de Thonon les bains à Trieste (ou l'inverse) permet de franchir 41 cols en 1 1 80 km (21 706 m de dénivellation).


          Le récit suivant concerne la partie " aller " de Léman-Adriatique sur le parcours de Thonon à Trieste.

Le parcours " retour " de Venise à Thonon fera l'objet d'un autre récit.

les 2 cartes de route de Léman - Adriatique


 profil du parcours aller : Thonon à Trieste


Récit de Thonon - Trieste :


          Samedi 28 juillet 1990 :

         Je quitte Angers en voiture à 07h30. Il fait vraiment très chaud pendant le trajet, à cause de la canicule. La prochaine fois je prendrai l'autoroute car, dans la 2ème partie du parcours, les routes sont sinueuses et vallonnées. J'arrive à la M.J.C. de Thonon les Bains à 19h30. Le trajet a duré une heure de plus qu'en 1989. Je dîne tout de suite sur place. Je ne peux pas dire que le repas a été excellent. Cette année un local a été prévu pour ranger les vélos. A 20h30 je rejoins ma chambre : impeccable, simple mais propre. A 21h30 je me couche. A l'extérieur la météo se gâte, l'orage gronde. Rapidement un déluge s'abat accompagné par des éclairs. Malgré celà je m'endors facilement.

          Dimanche 29 juillet 1990 Le réveil sonne à 05h30. J'ai bien dormi. Je fais ma toilette. A 6h00 je suis prêt à descendre récupérer mon vélo. Je suis obligé d'attendre le retour du veilleur de nuit qui partait effectuer une ronde au moment où je lui demandais la clé pour ouvrir le local à vélo.

          J'utilise une randonneuse de construction artisanale, entièrement soudo brasée sans raccords, équipées de roues de 650B et de porte-sacoches surbaissées sur mesure. Triple plateaux : 54 - 45 - 32 et 14 - 16 - 17 - 19 - 21 - 24 - 28 à l'arrière.

          Enfin à 6h30 je peux partir. A Abondance (27ème km) j'achète des fruits. Il est 9h30 quand je franchis le 1er col du raid : le Pas de Morgins. Cette montée a été facile : 32 x 21 et 32 x 24. Je sollicite le coup de tampon auprès de deux douaniers Suisses très sympathiques. Ils connaissent la randonnée et me demandent si je compte me rendre jusqu'à Brig, qui semble être l'étape habituelle des participants. Cette ville est située au 161ème km du parcours et me paraît effectivement accessible. Le soleil apparaît. Deux cents mètres après la douane je m'installe, assis sur un muret, pour déguster quelques fruits.

          De Monthey à Brig il faut parcourir 102 km dans la vallée du Rhône. Cette partie du parcours offre très peu d'intérêt. Les longues lignes droites sont monotones. J'y croise des cyclos souvent lourdement chargés sur des VTT. Je décide de ne pas m'arrêter à Brig car les hôtels y sont chers. Il n'est guère plus de 16h00, donc trop tôt pour envisager déjà la fin de la 1ère étape.

          Je pars à l'assaut des 2 005 m du Simplon par la petite route sinueuse et pentue de Ried (13%) en laissant sur ma gauche la N9 à 4 voies, à cet endroit interdite aux cyclistes. Je roule très au calme jusqu'au moment où ma petite route rejoins finalement la N9 ! Maintenant la pente est moins forte mais la chaleur devient caniculaire sur cette large route dépourvue d'ombre. Je rattrappe deux jeunes filles qui pédalent sur des vélos chargés de lourdes sacoches. J'échange quelques paroles avec elles, ce qui me permet de mesurer l'étendue de leur courage : leur première idée était d'effectuer le début de leur voyage en train mais elles ont préféré rouler sur leur vélo tout de suite.

          A 18h30 j'arrive au sommet du Simplon.

    le col du Simplon est le 1er col à + de 2000 m de cette randonnée     l'aigle en pierre au sommet du Simplon

          Je sens qu'on m'observe. Sur un talus, un énorme aigle de pierre est érigé. Il mesure au moins 10 mètres de haut. Il me regarde par dessus son épaule droite, mais reste impassible. J'en profite pour m'éloigner. De toutes façons, il souffle ici un vent frais qui ne m'encourage pas à m'attarder. A 19h25 je trouve une chambre à "Hollander Pub" à Varzo. Je dîne d'une grande pizza et d'une glace. Mon vélo est rangé dans un débarras fermant à clé, sous la maison. Douche puis je me couche à 22h00.

          211 kilomètres ont été effectués au cours de la journée.

          lundi 30 juillet 1990 :  Lever à 6h45. Je prends mon petit déjeuner à l'auberge à 7h10. Il est 7h50 quand je suis prêt à prendre la route. Le col de Druogno (22ème km) est franchi à 9h10. Je fais le plein de devises au bureau de poste.

          A 10h20 je franchis le 2ème col de la journée :  le sella Piano di sale. La montée s'est effectuée à l'ombre sur une route sinueuse et étroite. A plusieurs reprises, dans la montée et la descente, le revêtement de la route a disparu. Dans la descente je suis également ralenti par les travaux de construction d'un tunnel. Cette route très étroite serpente le long de la falaise. Au cours de cette longue descente le revêtement redevient excellent.

          A 12h00 je déjeune (fruits et 500 g de yaourt) sur la corniche longeant le lac de Locarno. L'accçès à ce lac semble impossible. Il est encaissé, situé en contrebas de la route et aucune voie ne permet de s'y rendre.

          Il est 13h15 quand je m'arrête une demie-heure à Cugnasco (85ème km). La pluie se met à tomber. Au 113ème km je glisse sur des rails humides et je ne peux éviter la chute. Ce qui m'inquiète le plus ce n'est pas mon genou écorché mais ma pédale droite dont l'axe semble être faussé. Mais en déplaçant mon pied légèrement vers l'intérieur j'atténue les conséquences du mouvement provoqué par l'axe faussé et je réussirai ainsi à poursuivre ce raid jusqu'à son terme. Car il n'est pas possible de changer mes pédales en Italie : le filetage italien est différent du filetage français.

          Je commence la montée du San Bernardino dans la brume, l'orage et une pluie violente qui m'a obligé à déployer mon poncho imperméable. Il pleut tellement qu'au 127ème km je m'arrête durant 40 minutes dans un abri WC-toilettes face à un château-fort qui domine l'autoroute que je longe depuis un long moment.

          Je repars et m'arrête deux kilomètres plus loin à Messoco où je trouve une chambre dans un hôtel. Il est 17h30 et je n'ai parcouru, aujourd'hui, que 129 km (pour 1 290 km de dénivellation). Mon vélo va sécher dans un couloir de l'hôtel. Bientôt la pluie cesse et le temps se découvre !!

          A 20h00 je dîne dans la salle à manger du bar. Au menu : salade, 2 paupiettes avec des frites et une glace en cornet. Lessive puis coucher à 21h30.

          Mardi 31 juillet 1990 : Aujourd'hui, c'est "chiuso" jour de fermeture de l'hôtel. J'ai payé ma chambre hier soir pour pouvoir partir tôt ce matin, car on ne me servira pas de petit déjeuner. Je me lève à 5h35 et je mange quelques fruits dans la chambre. 

          A 6h20 j'entame la montée du Forcla. Je suis au sommet à 7h55. Après 2 km de descente la route se redresse pendant 10 km pour franchir le San Bernardino qui culmine à 2 065 mètres, atteints à 9h05. Les 8 derniers kilomètres empruntent une route étroite et sinueuse, bordée par une végétation abondante. Dans la descente une pluie fine m'accompagne. 

          Je prends un petit déjeuner au 29ème km à Splügen qui marque le début de la montée du Paso del Splügen ou plutôt du splugenpass puisque je suis à nouveau en Suisse. Le pourcentage n'est pas trop élevé, puisque je monte à 8 ou 9 km/h sur le 32 x 28. Mais, à nouveau, la pluie m'accompagne. Je franchis le col au 50ème kilomètre (altitude 2 115 mètres), il est 11h45.

          Dans la descente je me méfie, car j'ai lu que la route est dépourvue de revêtement dans les tunnels. C'est encore vrai et de plus il n'y a aucun éclairage ! Je vous prie de croire que passer à vélo, en descente, dans des tunnels en terre battue, non éclairés, plein de nids de poules et de cailloux, çà secoue !!

          A 12h50 je m'accorde 45 minutes d'arrêt pour déjeuner. La montée du Maloja est difficile. Je roule parfois à 8 km/h. Mais souvent le compteur n'indique plus que 7 km/h, à ces moments je suis obligé de monter en danseuse et de faire appel à la puissance musculaire plutôt qu'à la souplesse, ce qui n'aura pas le même effet pour la récupération. Il faut y penser quand on fait un raid aussi long. A la difficulté naturelle qu'est le pourcentage de cette montée toute en virages très serrés, s'ajoutent la forte pluie et le vent de face. J'atteints le sommet à 17h20.

          A 18h30 j'arrive à l'auberge de jeunesse de Saint Moritz, après avoir longé le lac. Je n'ai pas pris le temps de le regarder, car je roulais le nez dans le guidon, sous un déluge, abrité par ma cape. Le thermomètre, à l'extérieur de l'A.J., indique 12° seulement. Cette auberge vaste et très propre ressemble plus à un hôtel qu' à un lieu vraiment convivial. Ma chambre possède 2 lits et des lavabos. La douche et les WC, entièrement en faïence, sont dans le couloir.

          Le dîner étant servi très tôt, de 18h15 à 19h5, je prends rapidement ma douche et me rends dans la salle à manger. Le menu est simple : potage, tortonelli, salade. En Suisse et en Italie le menu n'a malheureusement jamais comporté de fruits et de desserts, dont je raffolle.

          J'ai rangé mon vélo et mis ma cape et mes chaussures cyclistes à sécher, au sous-sol, dans un grand vestiaire. C'est la deuxième journée consécutive qu'il pleut, j'espère que çà ne durera pas. Je ne m'attarde pas et me couche à 21h10. Bilan de cette journée pluvieuse : 134 km pour 3 489 mètres de dénivellation.

          Mercredi 1er août 1990 : Le réveil sonne à  6h40 ! Je prends le petit déjeuner à l'A.J. à 7h10. Ce matin, à l'extérieur, tout est humide, mais il ne pleut plus. La température est fraîche : 11°. Je replie ma cape séchée et récupère mes chaussures cyclistes. Je suis prêt à partir à 8h10.

          J'arrive rapidement dans la montée du passo del bernina. Je m'arrête à plusieurs reprises car le paysage est magnifique. Nous sommes à plus de 2 000 mètres et il reste encore de la neige sur la montagne. C'est grandiose et très lumineux car, maintenant, le soleil brille. Sur le 32 x 28 la montée n'est pas trop dure et la fin est même facile lorsqu'à 9h30 je franchis le sommet.

          La montée du Forcola de livigno me parait plus dure, peut-être à cause du vent de face mais le beau temps semble vouloir s'installer durablement. Livigno est une jolie ville ancienne dont la majorité des habitations sont de vieux chalets en bois.

          Le passo d'Eira (2 208 m) au 49,5ème km, n'est pas vraiment dur car il est particulièrement roulant. J'y passe à 11h30. A partir de Bormio commence la montée du Stelvio, par une route large la SS 38. Bien que le revêtement soit très roulant la montée est pénible à 7 km/h jusqu'après les tunnels pas éclairés. Ensuite les lacets sont nombreux rendant l'ascension plus facile . Les 3 derniers kilomètres avant le passo santa maria sont à nouveaux difficiles.

          A la douane italienne je prends le temps de manger des fruits. Je laisse sur ma droite la route qui s'élève vers le stelvio, je franchis la frontière Italienne, puis après quelques centaines de mètres la frontière Suisse et j'effectue les opérations de contrôle dans un bar tout proche.

          Demi tour, à nouveau la frontière Suisse, courte descente, frontière Italienne etje reprends la SS38 sur 3,2 km pas faciles. La pluie commence à tomber. Je m'abrite le long de la paroi de la montagne pour enfiler mon KWay dans lequel le vent veut absolument s'engouffrer. Il est 16h40 lorsque j'atteins le sommet du Stelvio si réputé. Avec ses 2 757 mètres d'altitude cette route a été la route la plus haute d'Europe. C'est le 100ème kilomètres de la journée. Je subis toujours les attaques de la pluie et du vent. Je ne m'attarde pas et plonge dans la descente avec précautions, après avoir enfilé une paire de gants chauds. Il y a encore de la neige sur ma droite. Le stelvio se situe dans le tyrol. Cet ancien territoire allemand fut attribué à l'Italie après la 1ère guerre mondiale. Toutes les inscriptions sont à la fois en allemand et en italien.

          Après quelques kilomètres la pluie cesse et le soleil apparaît. Ce versant du Stelvio est très différent de celui que je viens de gravir. La route est très étroite avec des virages serrés, tellement serrés que les voitures ont parfois des difficultés et vont tout doucement. Cà me permet de faire une descente agréable, seul sur la route maintenant bordée de fleurs, les voitures serpentant lentement derrière moi.

          J'arrive à Spondigna à 18h00 et je trouve facilement une chambre très propre avec une très belle salle de bains, chez l'habitant. Mon vélo est à l'abri dans le garage de la villa. Je dîne dans un restaurant voisin et me couche à 21h15.

          Aujourd'hui j'ai parcouru 130 km pour 2 983 mètres de dénivellation. 

          Jeudi 2 août 1990 : Lever à 7h10, petit déjeuner copieux à 7h40, à l'étage, dans une belle salle à manger sur fond de musique tyrolienne.

          Départ à 8h30 par une longue descente où la circulation automobile est intense. De Silandro à Mérano toute la vallée est couverte de vergers arrosés généreusement par une multitude jets d'eau. C'est un véritable spectacle ! Ici toute la végétation est particulièrement verte grâce à cet arrosage intense. 

          Il est 10h00 quand j'arrive à Foresta-Mérano (41,5 km) . Il commence à faire chaud. J'atteins bientôt Lana. C'est le début de la montée du Passo della Palade.

   

          Ce col n'est pas trop dur mais long : 18,5 km. Le sommet (au 68,5 km) est franchi à 12h50. J'ai roulé à 8-9 km/h et parfois à 10 km/h sur le 32 x 28, il s'agit donc d'une montée relativement facile. Je déjeune jusqu'à 13h25. L e menu est souvent le même : sandwich, fruits, yaourts et pâtisseries. 

          Ensuite commence la montée du Passo della Mendola, vraiment facile et à l'ombre. Le début s'effectue à 10 km/h sur le 32 x 28, puis il me faut utiliser le 21 et même le 19 dents. 

          Il y a 26 kilomètres d'une descente très agréable parmi les vergers de poires et de pommes, de la vallée de l'Adige, pour atteindre Bolzano. La canicule est telle que j'effectue toute cette descente en maillot de corps. Mais j'ai quand même l'impression de rouler dans un four : malgré la vitesse de la descente, je reçois des bouffées d'air chaud. En réalité c'est bien agréable.

          Bolzano est une grande ville que je traverse sans difficulté. A la sortie j'hésite à emprunter un tunnel long de quelques centaines de mètres, rectiligne et bien éclairé, car un panneau prévient qu'il est interdit aux piétons, aux cyclistes et aux véhicules à moteur de moins de 125 cm3. Mais alors, où faut-il passer ? Puisqu'aucune déviation n'est indiquée, je décide de foncer. J'arrive sans problème à la sortie du tunnel. Il est 15h50 et j'ai parcouru 119 km.

          La montée du Passo di Pinei dure 24 km à partir de Prato all Isarco (127 km). On peut la diviser en 3 périodes :

  • malgré la canicule qui règne aujourd'hui, le début n'est pas très difficile puisque je roule à 9 km/h sur le 32 x 28. 
  • à partir de Fic a Sciliar (134,5 km) ma vitesse augmente car la pente s'atténue. Je progresse à 16 km/h (32 x 19) jusqu'à Siusi (142 km) 
  • à Casterotto (145 km) les difficultés réapparaissent. Je roule à nouveau à 8 km/h. J'atteins le sommet (151 km) à 18h30.
         

          La pension qui est indiquée sur le document remis par l'organisateur, me semble chère. Je décide de commencer la descente. A Ortisei je perds un peu de temps à chercher un hébergement. Tous les hôtels sont complets. Heureusement, je suis ici dans le sud Tyrol, tout près de l'Autriche. Les "Zimmer" ou "chambres chez l'habitant" sont nombreuses. Les premières maisons dans lesquelles je m'adresse sont également complètes. J'avance jusqu'à une grande maison rouge, le Garni Gran Cesa, portant la fameuse pancarte "Zimmer". Tout semble fermé.

          Je suis déçu car il est déjà 19h30 et je risque de passer la nuit à la belle étoile. A quelques mètres il y a un jardin où travaille une femme âgée. Je lui demande s'il est possible de trouver une chambre à Ortisei. Comme tous les Italiens de la région elle ne parle que l'allemand. Cà rend notre conversation difficile et de plus ma demande ne semble pas l'intéresser du tout. Elle continue son travail et ne relève guère la tête pour me parler. En insistant j'apprends que c'est elle qui loue des zimmers dans la grande villa voisine. Finalement elle accepte de me loger ce soir. Si l'extérieur de cette maison est très simple, l'intérieur est magnifique, étincellant et d'une grande propreté. Mon vélo est rangé dans un débarras au sous-sol. Après la douche je pique-nique sur l'herbe de 20h30 à 21h00. De retour à la chambre je fais une lessive et à 22h00 je suis prêt à me coucher.

 Aujourd'hui j'ai parcouru 158 km pour 2 743 mètres de dénivellation.


Vendredi 3 août 1990 :  voici le programme de la journée :

          Je me lève à 6h35. Comme d'habitude il me faut une demie-heure pour rassembler mes vêtements, remettre de l'ordre dans mes sacoches et me rhabiller. Je prends un agréable petit déjeuner dans la salle à manger toute en bois clair.

          La vallée qui mène à Val Gardéna est splendide. Maintenant je suis vraiment dans les Dolomites et j'aperçois de grandes murailles blanches dénudées. C'est sous un soleil radieux, bien agréable, que je grimpe, à 9 km/h, vers les 2 213 mètres du Passo di Sella. J'y arrive à 9h50. Je monte également le Passo Pordoi à 9km/h. J'accélère et je passe sur le 32 x 19 pour doubler et lâcher 3 italiens qui m'ont rattrappés peu avant. Le sommet est atteint à 10h55. Dans la descente je croise un cyclo qui participe à Trieste-Thonon aorès avoir fait Thonon-Venise à l'aller. Nous faisons le même parcours mais en sens inverse. Il est lourdement chargé. Il transporte un réchaud et même une tente pour 3 personnes, car il espérait partir avec 1 ou 2 équipiers. Il est mécontent de la façon de se conduire des italiens et regrette fort de ne pas trouver ici les boites de conserve qu'il a l'habitude de consommer en France (par exemple : il ne trouve pas de raviolis en Italie !) Il est pressé de revenir en France.

          Le Passo Campolongo est relativement facile, à 9 km/h. Je déjeune dans la descente, face à la chaîne des Dolomites. Il est 13h30 lorsque je pointe à La Villa.

          Le col suivant, le Passo di Valparola, se monte également à 9 km/h avec parfois des portions très faciles. Seuls les 4 derniers kilomètres sont plus durs. A 15h10 j'atteins le sommet situé sur un plateau totalement désertique. Tout autour de moi le paysage est aride et "lunaire". Le soleil est violent et illumine les nombreuses aiguilles blanches des Dolomites.

          Je me prépare à la montée du Passo di Giau. Pendant la préparation de ce raid j'ai lu quelques récits d'anciens participants. L'un d'eux citait ce col et annonçait des passages à 20%. Au cours de l'été 1989, les cyclos qui ont gravi les 11 km du Giau ont trouvé 7,500 km de route sans revêtement. Tous les ouvrages routiers, tunnels, ponts et murets étant terminés, il ne manquait que le bitume. Ces éléments font que, sans ressentir la moindre appréhension, je m'attends quand même à trouver sous mes roues quelques difficultés ! Mais, en montagne, l'histoire se renouvelle car à chaque fois que je me suis motivé pour affronter une situation exceptionnelle je n'ai pas trouvé les pourcentages supposés. Ce passo di Giau s'élève de 1 271 m. à 2 233 m. en 10,5 km, ce qui donne un pourcentage moyen et très respectable de 9,16%. Mais jamais je n'y ai trouvé de mur à 20%, de plus les travaux sont terminés et le revêtement existe maintenant sur la totalité de la montée.

  

          Je suis persuadé que c'est la montée par une route en terre battue qui devait, par le passé, faire de ce col un épouventail. Au carrefour de la SS 251 et de la SS 638, j'en suis au 93ème km de la journée. Il est 16h40. Encore 1h10 de grimpée pour arriver (à 17h50) au sommet. Au début j'ai souvent roulé à 7 km/h puis à 9 km/h sur une pente en réalité assez régulière. La descente me conduit à la célèbre station d sports d'hiver de Cortina d'Empezzo à 18h40. Je cherche un hébergement, mais je ne trouve rien. Personne ne connait le refuge de la place de Padola, pas même un carabinieri qui téléphone à ses collègues pour obtenir le renseignement.L'office de tourisme m'indique le village de Padola à 40 km d'ici ! Pourtant j'avais découvert cette adresse dans le récit d'un ancien participant. Après plusieurs recherches infructueueses je décide de continuer ma route.Je commence à avoir sérieusement faim durant les 8 derniers kilomètres de l'ascension du Passo Tre Croco. Après 6 km de descente j'arrive sur les bords du lac de Misurina. Il fait très sombre car la nuit est presque tombée. Je trouve une chambre dans un très bel hôtel, à l'écart de la route. Sur la photo suivante on distingue l'hôtel, au fond, sur le bord du lac. La chambre est correcte mais les WC et la douche sont dans le couloir malgré le prix plutôt élevé demandé pour la nuit. 

          Je fais le bilan de la journée : 137 km parcourus pour 7 nouveaux cols franchis dont 5 à plus de 2 000 mètres (4 286 mètres de dénivellation). C'est très bien. Je dîne en ville : je commande une pizza et des spaghettis Carboneri. Retour à l'hôtel à 22h30. Douche et coucher à 23h15.

         Samedi 4 août 1990 :

           Quand je me lève à 6h50, je ne sais pas encore que ce 7ème jour du raid, avant-dernière étape du parcours aller, ne sera pas facile.

          Je prends mon petit déjeuner sur un banc tout près du lac. De nombreux canards s'approchent pendant que je mange des fruits. La température est très fraîche et de la brume flotte au-dessus de l'eau. A 7h45 je pars vers le Rifugio Auronzo situé au sommet du Forcella Longères, exactement à 7,8 km d'ici.Les pourcentages que je vais affronter sont sensationnels. A partir du terrain de camping, à la sortie de Misurina, celà commence par 2 km aveec des passages à 16%. Ensuite il y a quelques centaines de mètres en légère descente qui m'amène au péage (passage gratuit pour les cyclistes). Il reste 5 km de rampes très très pentues avant de parvenir au contrôle. Jamais je n'ai vu de tels pourcentages. Il s'agit de la montée la plus difficile que j'ai effectué au cours de ma "carrière" à vélo. En 3,6 km, sur le 32 x 28, je passe de l'altitude 1 835 m. à 2 320 m. La dénivellation est donc de 485 mètres. Le pourcentage moyen est de 13,47% ! Le document remis par l'organisateur annonce des passages à 20%. De telles conditions augmentent le plaisir d'être venu visiter les Dolomites et flattent le cyclo puisque, étant prévoyant, j'arrive à "en garder sous la pédale", ne sachant pas comment çà va se terminer. J'effectue toute la montée debout sur les pédales, en sollicitant la puissance musculaire. Impossible de se rasseoir ou de ralentir, sinon je tombe. C'est la 1ère fois que mon compteur est bloqué à 6 km/h. Pour quelle raison ? J'ai remarqué qu'il fonctionnait à nouveau correctement dans la descente ! A 8h45 je me hisse sur le parking du refuge qui est encombré de voitures, car de nombreux randonneurs pédestres partent d'ici.

         

          Je suis au pied des impressionnantes murailles de la face sud des Dolomites. Les Trois Cimes du Lavaredo culminent au-dessus de moi à 3 003 mètres. Elles portent des traces de couleur rouge et ocre. Pour contrôler il n'y a aucun problème : le tampon du club alpin italien est en permanence sur le comptoir, près du kiosque à cartes postales. Puisqu'il s'agit d'un cul de sac, il faut repartir par la même route. Après le franchissement du péage, je m'offre un grand chocolat chaud au bar face au terrain de camping. Je fais une halte au bureau de poste de Dobbiaco, pour faire le plein de devises.

          La pente est irrégulière pour monter au Passo Monte Croce. Je m'arrête à 1,5 km du sommet pour une bonne raison, parce que j'ai faim. De 12h15 à 12h50 je m'installe pour un pique-nique au cours duquel je consomme des fruits et des laitages. Les 14 km de Sella Campigotto me semblent interminables. Au début, malgré le beau bitume, je ne roule qu'à 7 ou 8 km/h. Serait-ce la fatigue qui commence à se faire sentir dès le 7ème jour ? A 4 km du sommet le bitume disparaît pendant quelques centaines de mètres. Puis il réapparaît (habitude italienne) mais est de médiocre qualité. Cette petite route étroite a l'avantage de dérouler ses lacets à l'ombre grâce à une végétation dense. Longue descente par la vallée de Pésarina.

          C'est au bas que j'effectue ma première erreur de parcours. Au bout d'un kilomètre je m'aperçois que j'ai pris la strada 355 à droite vers Tolmezzo, alors que Coméglians est à gauche. Demi-tour et c'est justement à Coméglians, à 18h15, que prend fin cette étape parcourue sous un soleil très chaud. Que calor ! En d'autres temps, des cyclos se sont déjà arrêtés ici. La patronne est très aimable et décide que mon vélo doit passer la nuit dans la salle à manger. Ma chambre est au 2ème étage. Pour y parvenir il faut emprunter un escalier où un épais tapis atténue tous les bruits. A chaque étage le hall est un grand salon équipé d'un poste de télévision. A 19h45 je descends pour le dîner. J'ai de la difficulté à me faire comprendre de la serveuse. Je choisis d'abord des spaghettis avec des champignons, ensuite, fidèle à mon habitude, je refuse tous les plats de viande et je demande du fromage. J'ai droit à une grande assiette avec un bel assortiement de fromages. Le tout est arrosé avec un litre d'une excellente aqua frisante. Pour bien terminer ce repas je m'offre un gâteau glacé. Coucher à 22h00.

          Dimanche 5 août 1990 : Je me lève à 6h15 et je quitte l'auberge à 6h40. Je prends mon petit déjeuner sur le parking, en consommant les fruits et les yaourts qui ont survécu à la journée d'hier. Départ en vélo à 7h00.

          Les cols Sella Valcalda et Sella Marcille sont durs. Je me hisse au sommet à 7-8 km/h par une toute petite route pentue, sinueuse et tellement étroite qu'elle ressemble parfois à un chemin. La végétation s'avance sur la chaussée et je serais certainement obligé de m'arrêter si une voiture voulait me croiser. Mais heureusement ici je suis tout seul. Tout est calme, tellement calme que je prends mon temps. Je m'y sens vraiment bien, c'est reposant.

          Après Boldano je fais une erreur de parcours. Je parcours 5 km supplémentaires, le long du Tagliamento complètement à sec. Son large lit ne laisse apparaître que des galets, qu'aucune eau n'a déplacé depuis longtemps. Le dernier contrôle de la partie "aller " est prévu à Udine. Je vous assure que ce n'est pas facile de trouver un commerce ouvert le dimanche en Italie. Toutes les stations service affichent " Chiuso " cet après-midi. Je ne trouve pas non plus de pâtisserie, qui sont souvent le point de ralliement des cyclos. Quand, enfin, j'aperçois le seul bar ouvert à Udine. Je commande un café italien, c'est à dire un peu moins d'un centimètre de liquide néro au fond d'un tasse, à côté d'une réserve de sucre en poudre.

          A la sortie d'Udine, la SS 56 m'emmène rapidement vers Trieste. La circulation devient intense sur la route en corniche qui longe le golfe de Panzano puis celui de Trieste. A 18h00 j'arrive à l'auberge de jeunesse. Elle est facile à trouver : 300 mètres après le tunnel situé à l'entrée de Grignano, il faut tourner à droite et prendre la rue qui longe l'Adriatique en direction du château de Miramare.

        

          Dans cette auberge il n'est pas prévu de dîner le dimanche. Et bien sûr, aujourd'hui, par un désagréable hasard, nous sommes ... dimanche !! Je m'organise un repas sur la terrasse qui domine l'Adriatique. Ensuite je me promène le long de la mer, mais je décide de ne pas m'y baigner. Ici il n'y a pas de plage, seulement de gros rochers posés le long de la route. Chacun s'assoit sur une serviette de bains et parfois un courageux se laisser glisser dans l'eau. Le plus délicat semble être le retour sur la berge sans s'égratigner les genoux et les pieds.

          A l'A.J. aucun local n'est prévu pour abriter les vélos. En espérant qu'il ne pleuve pas durant la nuit, je vais cacher le mien derrière le bâtiment en l'attachant avec l'antivol. Après avoir fait une petite lessive, je rejoins mon lit dans un dortoir réservé aux hommes. Il est 22h00, il fait très encore très chaud et j'ai de la difficulté à m'endormir.

C'est la fin du parcours " aller " de mon raid. Au cours de cette étape j'ai parcouru 177 kilomètres.

Bientôt je mettrai en ligne le récit du " retour " de ce raid, sur le parcours de Venise à Thonon.