Patrick PLAINE TDF record en 1978

ESPOIR ET DRAME SUR UN "TOUR" (1978)

par Patrick PLAINE

De ma tête momifiée, le sang continuait à couler de mes narines ...

Tirant sur un guidon les dernières énergies d'une volonté fanatique, seul dans les ténèbres, luttant contre l'asphyxie vers une dernière difficulté, le col de la Madeleine (1984 m.)

A 4 km du sommet, je capitulais ... dans la froidure et la semi-inconscience ... Là, affalé sur un banc, je crus mourir de désespoir. Moi, qui comptais m'offrir un dernier baroud nocturne. Hélas, la chance m'avait quitté ... J'allais sombrer ...

9 août

Veille de la tentative "sur un test sportif au long cours, sur l'endurance de l'Etre humain devant l'absolu ..." Tout est au point : le randonneur et sa monture.

L'homme de par sa conception originale et écologiste, doté d'une nouvelle fraîcheur d'état d'esprit due à une mise au vert, amplement méritée. Avec quand même 18.874 km de rodage... La machine, nouvelle recrue, baptisée "la cannibale" aux traits beaucoup plus harmonieux et douée d'une certaine souplesse. Innovation : un triple plateau avec un 56 dents pour dévorer le temps ... (de quoi faire tousser les Tontons de la moulinette)

Tout est prêt ! Et comme toujours en pareille occasion, le MORAL est au "sur-boom" malgré le temps pourri ... (j'ai dû différer d'une journée la date de mon départ)

10 août

Trempé comme une soupe au départ de Combloux : +5° ... Cette première étape sera extrêmement pluvieuse jusqu'à Montbéliard, parfaitement digne d'une "chevauchée de pingouin".

Six départements traversés, des cols sélectifs. La station des Gets, la Faucille, puis la route des crêtes, brumeuse dans la nuit ! Pour aboutir à Orbey au km 504, après un repos sous un abri d'autobus.

Première étape gigantesque, soit. Mais quel moral pour la suite !

Une petite anecdote au contrôle du Grand Ballon, où refusant une part de tarte - trop onéreuse à mon goût, 7F ! - le tenancier me l'offrit, avec un grand chocolat : comme quoi, la revendication a parfois du bon ... )

11 août

Reparti avant l'aube, je reprends contact avec la N83 en direction de Strasbourg. Cap vers l'ouest par le col de Valsberg (652m), plongée sur Dabo (site BPF). Puis à partir de Sarrebourg, traversée de la pénible région de la Moselle avec ses côtes, son vent défavorable (dans ce sens) et ses paysages sans attraits. Le soleil est revenu. Metz est en vue. J'opte pour la première fois pour la N 381 vers Longuyon (ravitaillement difficile ...).

Heureux les couche-tôt ! Pour moi, la lutte continue ... Bientôt, c'est l'obscurité ... Je contrôle à Carignan, où j'oublie mon bidon. Plus 3 km. ... La brume est épaisse ... Enfin Charleville ! Les douze coups de minuit ont sonné. Pour moi, ce sera à Lommy que je tenterai de trouver le sommeil sous un nouvel abribus.

Seconde étape de 420 km, qui aurait pu être meilleure sans le vent. 

12 août

Toboggan ardennais passé dans la brume et la froidure. Routes défoncées sur Trélon (pieds souffreteux ...) Locquinol et sa paisible forêt de Mormal.

Le Nord et ses grandes villes industrielles, Valenciennes, Lille (après avoir avalé quelques solides...). Plus de pavés, mais des pistes cyclables d'un état très douteux ... Trois longues averses pour arriver à Bergues (BPF bien connu des Diagonalistes). Non ! plus de Dunkerque ... Longeant le canal vers Bourbourg (me sentant visé, je relève la tête ...). Calais (avec la fidélité du contrôleur Total).

La côte n'est pas trop venteuse (pour une fois ...). Quelques bosses sévères et c'est la ville de Boulogne. Là, je dois subir une circulation infernale jusqu'à Etaples. Est-ce un rallye nocturne ? Vu l'ampoule grillée à l'arrière, c'est prendre des risques. Heureusement l' "as-tu-vu ? " est là !

Minuit passé, je roule encore. La fatigue, connais pas  ... Quelques stations balnéaires inédites (Berck ...). Puis à Groffiers, un 3ème abribus ... fera l'affaire (idée fixe ?).

13 août

Direction Paris. Pourquoi faut-il y aller ? Quand il y a plus touristique et moins pollué en longeant la côte du Pays de Caux ? Mais voilà ! Le règlement est ainsi fait et on doit le subir .... Pour une fois, la capitale est déserte (en août, c'est normal ! Les Parisiens ont besoin de s'oxygéner ...). Coup de tampon difficilement obtenu (dans les grandes villes, c'est toujours la même galère ...).

Demi-tour sur la Défense (aménagée exclusivement pour l'automobile !). J'ai hâte de sortir de la banlieue, j'étouffe ... Saint Germain et son bois, enfin ! Puis trace très connue jusqu'à Vetheuil, ville où j'ai dû user pas mal de tampons ... Suivant la Seine jusqu'à Vernon où je la traverse pour changer de rive. Et c'est en chantant " Sur la route de Louviers, il y avait un cyclo, et qui roulait ..." (comme un dingue ...). La nuit venue, je poursuis sur Elbeuf. Sur la côte des Tilleuls (souvent larguée dans ma jeunesse ...). Mais il fait bon revenir au Pays. Casse-croute à la belle étoile à plus de 23h. C'est insolite !

Mais il fait froid et j'en profite pour me réchauffer en continuant sur Bourgtheroulde. Puis la vallée de la Risle jusqu'à Corneville. Les cloches, vous connaissez ? Pas d'angélus pour la mienne ... et sans prétention, arrêt dans un nouvel abribus après 364 km.

14 août

Quelle brume ! J'en attrappe même l'onglée vers Pont-Audemer. Heureusement le soleil viendra bien vite s'installer ( et pour toute la journée). Voici la côte de nacre et ses stations balnéaires réputées, Deauville, Cabourg. La route est sinueuse et bosselée (avec un vent toujours défavorable). La circulation est intense et dangereuse. Les nerfs à fleur de peau, je pousse de temps en temps des gueulantes ... Bouchon et re-bouchon jusqu'à Grancamp.

Puis c'est la N 13 d'Isigny à Cherbourg. Un nouveau calvaire ... (pour qui la connaît ...). Traversée du département de la Manche par la N 800, beaucoup plus sereine. A Lessay, une tenancière me dit en avoir ras-le-bol de pointer des carnets à longueur de journée ... Moi, qui croyais faire partie des marginaux !

Puis voilà Coutances dans la nuit (arrêt ravitaillement). Et comme chaque soir, je décide d'en rajouter. Une heure du matin, traversée d'Avranches. La brume est très épaisse ... Paumé, j'arrive quand même à rejoindre Pontorson, pour finalement me retrouver sur un banc public. Que voulez-vous, la dure ! Cà me connait comme dirait Seray. Et encore 368 km effectués "dans les temps".

15 août

Il fait déjà jour ! Bigre, j'ai dû m'endormir ... mon duvet est trempé ... Et les rhumatismes ? Bah ! un peu plus, un peu moins ... Et me voilà de nouveau roulant dans la brume, direction la Bretagne. Traversée de la Rance sur le barrage, N 168, Plancoët, Lamballe, Yffignac, R.A.S. sauf pour le vent ... qui souffle en rafales. Mais le Roc tient bon ... Saint Brieuc, 1/2 heure de relâchement ...  

Et voici la côte bretonne, très jolie, et ma fois, aucune trace de pollution. Au contrôle de Tréguier, j'ai du mal à récupérer mon carnet de route.

          "Vous êtes parti le 10 et vous êtes déjà là ?"

          "Vous faites combien de kilomètres par jour ?"

          "Vous dormez à l'hôtel ?"

Stop ! Eh, Kenavo ! ... Reprenons la route vers Lannnion avec un bel orage au passage. Puis Morlaix, sur la voie expresse ... Puis la N 12 avec, de nouveau, la lutte contre Eole jusqu'à Brest (22h30). La musette est plutot vide mais le chameau que je suis est capable d'aller encore loin...

Changement de direction toutes voiles dehors. C'est ma revanche! Profitant du clair de lune, je vais jusqu'à Chateaulin où je suis arrêté ... par la police. Evidemment encore un rôdeur louche ... Puisqu'on ne peut plus rouler la nuit ... je vais me planquer dans une benne de camion. Pourvu qu'il ne démarre pas dans l'autre sens ...

Bilan : 335 km. Pas mal avec ce vent !

16 août

Chateaulin, 6h15. Obtenu enfin le précieux coup de tampon.

Aujourd'hui avec le vent favorable et le beau temps qui s'annonce, je compte faire une grande étape. Puisque "la selle" a l'air de ne pas trop souffrir (une réussite de côté-là). Et les kilomètres se mettent à défiler à un rythme effréné ... Pauvre Bretagne, qui mérite tant qu'on l'admire ! "Baie de Douarnenez, je reviendrai un jour faire ton littoral en contemplatif, c'est promis !"

Et sur cette belle promesse, je vire à Pont-L'Abbé. Pont de Bénodet ... Emporté par ma frénésie, je me retrouve à Rosporden ... Moi qui devais passer par Pont-Aven ! Tant pis, le kilométrage est égal.

Quimperlé (embouteillé ...), il fait chaud. Vannes est ralliée à allure soutenue. Pas d'arrêt casse-croute aujourd'hui, il faut y aller ! La Roche-Bernard, traversée de la Grande Brière, puis Saint Nazaire. Mais où est-il donc ce bac, annoncé par les organisateurs ? Aujourd'hui un pont le remplace pour traverser la Loire. Un chef d'oeuvre impressionnannt ! Mais la progression y est difficile avec le vent (péage = 1F). Maintenant c'est tout droit jusqu'à Pornic. Plus de traversée de Nantes, là j'apprécie !

Bourgneuf, peu de circulation mais il est vrai que les aiguilles tournent ... Et je poursuis allègrement ma chevauchée vers la Vendée. Challans, les Sables et Talmon ... à plus de minuit ! (au fait, Talmon avec un D, un T ou rien comme sur l'imprimé que j'ai en main ?). Chocolat chaud gratis ... "Merci, patron !" . Je pousserais bien encore vers Pont-Rouge. Mais voilà un hangar de paille ... "Est-ce un mirage ou quoi ?" Allez hop ! je fonce !

400 bornes tout rond,, il faut bien les effacer ...

17 août

Dès l'aube, je repars dans la brume, comme d'habitude ...8h30, La Rochelle, juste un café. Et "la cannibale" continue à engloutir les kilomètres ... sur un 56x16 (parfois 15 ... j'ose l'avouer ! ). La grande frite, quoi ... !

A Royan, je dois arrêter et attendre une heure le bac (un vrai ...) pour franchir l'estuaire de la Gironde. J'en profite pour me restaurer et écrire quelques cartes ... une heure de perdue ... Arrivé sur terre ferme, je reprends le collier, plus volontaire que jamais. Le vent est moins favorable, mais qu'importe ! Ce soir, je dois être à Bayonne. Sans un regard pour les Landes, je fonce ... Mimizan, difficile à traverser. Beaucoup de circulation, certes, mais aucune comparaison avec la N 10 !! Hossegor, "charmant ce coin-là !"

Puis Bayonne en vue, je continuerais bien ... mais il faut être sage car la route est longue. J'avise une villa qui vient de cramer (elle sent encore le roussi ...) où il y a bien un coin pour loger le vagabond ...

419 km : j'aurais pu faire mieux !

18 août

Le repos a été court ..., mais la tâche m'appelle ..."Les Pyrénées, vous connaissez ?".

Et c'est avec un moral de conquérant que je m'élance da-Madame. Attention aux rafales de vent ! La route evns ses contreforts. Combo, St Jean-Pied-de-Port où je m'offre quelques gateaux basques (une envie ...), le col d'Osquich (pour chauffer le 32 dents ...). Mauléon, Oloron-Ste-Marie. Cà chauffe dur ... A Izerte, je décide de faire la grande lessive ... décrassage, rasage, pansage, massage et graissage pour tout le monde ...

Mon habituel fromage blanc à 45% absorbé, je pars ragaillardi à l'assaut de l'Aubisque. La canicule frappe fort et les voitures sont plutôt encombrantes, voire asphyxiantes ... A 16h45', je suis au sommet. C'est la grande foule ... Descente sur Argelès-Gazost. Installé devant la fontaine municipale, une bonne dame vient en courant me prévenir ... que l'eau est polluée : je  n'ose la prévenir que j'en suis à mon deuxième bidon !

Deuxième difficulté de la journée : le Tourmalet, atteint juste à 21heures (il est encore plus succulent en soirée !). Et je dégringole sur Ste-Marie-de-Campan. A fond, grâce  à la dynamo. Pour les montées, l'ATUVU suffit. Surtout, avec ce clair de lune !

Après le ravitaillement, voici Aspin (un 3ème catégorie de ce côté ...) puis Arreau. "S'arrêter dans la vallée ? Pourquoi, Peyresourde est tout près". Et c'est ainsi que je me retrouve dans la descente à St Aventin où j'arrête les frais ... sous un abribus ... un de plus.

311 km, avec cette canicule et les cols ... Faut pas se plaindre !

19 août

Au "Bar montagnard"  de Bagnères-de-Luchon (un habitué ...), contrôle du carnet à 6h45. Filant bon train, j'opte pour le col de Menté (pour changer un peu ...). Très coriace de ce côté ... Vaincu, je me laisse glisser sur l'autre versant pour rejoindre la N618. Le Portet d'Aspet ... un client !! Et comme j'en ai déjà pris l'habitude, j'y mets pied à terre ... Et oui ! même Plaine ! "Et puis alors ? La musculature, ça se préserve !". Et c'est la longue déclinaison vers St-Girons. La route est déjà surchauffée et les fontaines me tentent ... Massat.

Casse-croute dans le col de Port, le tout avalé sans effort ... Et j'enroule le maximum vers Ax-les-Thermes. C'est là que m'attend ma bête noire : le Puymorens. Mais, cette fois son ascension me paraît facile. J'ai noté au passage le bon travail des Ponts et Chaussées. C'est du billard maintenant.

Voici la longue descente sur Bourg-Madame. Attention aux rafales de vent ! La route vers Mont-Louis n'est pas de tout repos à cause d'Eole. Ensuite, ma foi, il suffit de se laisser glisser jusqu'à la capitale du Roussillon, Perpignan, il est minuit. 

Encore un poil ... Là près de Salses, je me réfugie sous un abri ... tout près de la N9. "Si des fois je m'endormais  ..." . Encore 336 km pour aujourd'hui.

20 août

"Allez, aujourd'hui, pas moins de 400 km, le terrain est plat !"

Et me voilà, de nouveau, martyrisant ma chère moitié ... Je passe sous silence la N9 (malgré le dédoublement de l'autoroute) pour arriver sur Narbonne. A Béziers, la canicule est déjà là ! Et je commence à ressentir des signes de fatigue ...

Sète et la cohue estivale revenue ... Les plages du Golfe du Lion ... Je zigzague ... je n'avance plus ... j'ai sommeil ... La défaillance, sans doute ... Je m'allonge sur l'herbe une demi-heure ... Puis j'ai l'impression d'entendre des voix qui blessent . "Debout rossard, t'es pas au Palladium ici !" 

Et j'enfourche de nouveau mon biclou jusqu'à Aigues-Mortes. Là, devant le Grand café, j'essaie d'analyser le problème. "Vaincu par la chaleur comme en 1976 ? Non, je ne veux pas ..."

Reprenant courage, je file sur Arles où je prends la longue route monotone vers Martigues, le vent dans le cintre ... Le soleil déclinant, je retrouve de l'énergie. Marseille est en vue ... "Tiens ! La montagne qui brûle". Heureusement, toutes les matières ne sont pas combustibles ... Moi en particulier, qui trimballe ma carcasse depuis plus de 15 ans ... bien que, en Corse en 1969, j'ai failli y laisser ma peau !

Traversée pénible de la cité Phocéenne. J'escalade le col de la Gineste avec une vue magnifique sur la baie des Anges, toute illuminée ... La nuit a son charme, quoique l'on dise. Puis, c'est Cassis, pour un contrôle. Les gens s'arrachent le carnet. "Alors, vous me le rendez ... où je fais un malheur ..." (sous tension, j'en suis capable ...)

De nouveau à l'air ... La Ciotat, Les Lecques. Ras-le-bol. Je m'allonge sous les pins et j'essaie de dormir ... dormir ... 336 km, ce n'est pas catastrophique, mais quand même ...

21 août

Encore quelques stations balnéaires, Bandol, Sanary (en pleine pagaille ...) puis Toulon. Pour éviter l'autoroute, je me retrouve à Hyères-plage. "Avais-je envie de prendre un bain ?"

Je reprends contact avec la N98 et le massif des Maures. Au croisement de la Faux, je prends la route de Saint-Tropez, avec une circulation intense, convaincu que c'est la bonne ... Bilan, 10 km de rab. Roulant en 2ème et parfois en 3ème file, je rejoins péniblement Fréjus puis c'est la N7 dans le massif de l'Estérel. Un véritable étouffoir ! Mandelieu, où je m'asperge copieusement. Grimpant sur Grasse sans conviction, puis Vence où une sympathique contrôleuse m'offre 10 F de prime ... Il paraît que c'est la coutume de la maison (exemple à suivre !).

Puis, je rejoins la N202 et la vallée du Var. L'orage menace ... , mais n'éclatera pas. Je remonte vers le Plan puis le pont de la Mescla pour suivre le cours de la Tinée. La nuit est tombée et la température est fraîche. Mais il y a beaucoup de brume et je me dirige un peu à l'aveuglette, avec l'aide de ma dynamo. Mais je n'abdique pas et j'arrive à St-Etienne de Tinée vers minuit. "Encore un troquet d'ouvert ...quelle aubaine !" . Et pour me coucher, une descente d'escalier ... Cà a caillé dur !

307 km seulement ! Sans la caniculle, je pouvais prétendre en faire 50 de mieux.

 22 août

"Si tout va bien, je pense que dans 24 heures, je ne devrais pas être loin du but. Crache dans tes pognes et en avant mon frère !". Quelques battements d'ailes ... et me voici sur la cime de lla Bonette.Majestueux, certes, mais je préfère Allos, question de souvenirs. Longue descente vertigineuse où je passe juste à temps avant que les Ponts-et-Chaussées me coupent la route.

Jausiers, dans la vallée, puis c'est le col de Vars, dans la canicule. Casse-croûte à Guillestre et longue descente vers l'Izoard. Ma forme est excellente - l'air de la montagne m'a toujours inspiré - lerayonnage tient et les pneus sont encore en parfait état. Que demander de mieux ?

Au sommet quelques bavardages avec les amis du refuge et je plonge sur Briançon (ravitaillement). Le jarret est bon et je donne de la bride dans le Lautaret, antichambre du Galibierque j'atteins sans forcer. Glacial est le sommet ... recouvert de nuages ..., j'entame la descente ...

ET 2 KM PLUS LOIN, C'EST LE DRAME ...

A faible allure pourtant ... je chute lourdement ... je suis groggy ... j'ai la tête en sang.

Je suis secouru par plusieurs automobilistes. L'un d'eux veut à tout prix me prendre à son bord et me conduire à Valloire. "Et le règlement, qu'en faites-vous ? Un randonneur doit tout faire par lui-même.". Comme apparemment il n'y a rien ... le bon numéro de la loterie des " de cassé et que je suis encore lucide ... je m'élance de nouveau, après qu'on ait redressé mon guidon, avec une escorte à mes trousses (il y en a même un qui a fait demi-tour ...). "Où va la confiance ?".

En bas, je suis dirigé vers le dispensaire de Valloire. Allongé sur une table, j'y reçois les premiers soins urgents, dont un vaccin antitétanique. Je suis touché à la tête en six endroits différents dont le nez, qui a éclaté ... Comme je m'y attendais, ils veulent que je reste en observation ... Alors, là ! C'est un refus catégorique. Si près du but, il faudrait que l'on me coupe les deux jambes et qu'on m'enfile une camisole.

"Je veux m'en aller, S.V.P.". Et à force de supplications, j'arrive à obtenir mon bulletin de sortie ... grâce au médecin, cyclotouriste pratiquant qui a compris que le Tour représentait tout pour moi. Et me voilà, enfin ! à l'air LIBRE !

Combien de temps perdu ? Qu'importe, il faut continuer, continuer ... La tête complètement bandée, je m'élance vers le Télégraphe. Puis dans la descente vers St Michel, qui me fait beaucoup souffrir. La nuit est déjà là ! Malgré les maux de tête (traumatisme sans doute ...), je trouve assez de ressources pour me mêler au trafic de la N6, le long de la Maurienne.

Et je décide de m'attaquer au dernier gros morceau, le col de la Madeleine. Mais là, malgré toute ma volonté, je capitule (ne connaissant pas ce versant) à 4 km du sommet ...253 km ... je pleure ... mon rêve s'est envolé !

23 août

Fiévreux, et la tête comme une marmite, j'en finis avec la Madeleine ... Descente très prudente. J'ai oublié de mentionner que "la Cannibale" n'a plus qu'un frein utilisable ...

De nouveau dans la vallée (de l'Isère) où je suis l'attraction des villages traversés. "Vous pensez ... avec la gueule que j'ai ...". Le poilu venant du front ... le bon numéro de la loterie des "gueules cassées" ... 

Je ne peux même plus m'alimenter ...ouvrant à peine le bec pour laper la dernière goutte de mon lait Nestlé. Le nez est obstrué par le sang caillé, je respire difficilement ... Albertville ... A chaque arrêt, c'est le même "mur des lamentations" ... 

Enfin la dernière rampe ... vers la staton de Megève, puis Combloux que j'atteins à 11h55', juste avant la fermeture du Syndicat d'Initiative pour le dernier contrôle ... 93 km.

Le TOUR est fini ... et la VIE continue ...

Je rentre au bercail ans l'après-midi sans problème.

Quelques détails en passant

Sur les 7 Tours que j'ai déjà à mon actif, je peux dire que c'est cette 7ème édition qui m'a le moins affaibli (chute mise à part ...). Naturellement, je suis certainement moins véloce qu'en 1966 ou 68 mais l'expérience et l'endurance compensent largement la perte de puissance. Et sans la malchance (qui n'est pas toujours seulement réservée aux autres ...), je pouvais prétendre franchir la barre des 312 heures (soit 13 jours).

Mais ce temps n'est certainement pas l'absolu ... Je pense sincèrement qu'un autre fada pourra l'améliorer encore de 24 heures soit 288 h ou 12 jours. Naturellement en respectant les règles du parfait Randonneur, ce qui n'est pas permis à tout le monde ...

Et puis, il y a aussi la météo qui entre en jeu. Si, dès le départ, vous avez un temps pourri comme moi en 1974 pas question d'aller bien loin. Pour moi, la chaleur est plus supportable. Mais quand il faut la combattre avec le sommeil, c'est encore impossible (voire surtout en 1976).

Le type de vélo importe peu. Mais il est quand même conseillé d'avoir une bonne paire de roues (croisée par 4 avec moyeu Maxi-car) ... ce qui n'a pas toujours été mon cas ... Cette année, outre  la nouvelle monture, j'ai eu la chance d'obtenir un montage de roues, croisées seulement par 3, avec des rayons incassables. "Ne me demandez pas l'adresse ... car le stock est déjà épuisé ...".

Pour les pneumatiques - le boyau étant exclu pour ce genre de périple - je conseillerai la jante 700 (ou 650, j'y viendrai sans doute un jour !). Le 700 C25 que j'ai utilisé cette année m'a paru moins confortable que le 28 (surtout dans les descentes ...). Quand à la marque du pneu et sa vitesse d'usure, ça varie d'une année à l'autre. Pour 1978, aucune crevaison, et je roule encore sur les pneus d'origine (plus de 7.000 bornes !).

Question plateaux, je suis revenu au triple car pour la randonnée la gamme est plus large : 56x48x32 dont un certain 56 qui en a fait jaser plus d'un ! Mais fallait encore voir ce que la roue-libre offrait : 15 - 16 - 17 - 19 - 20 - 21. Mais je reconnais que le 22 n'aurait pas été de trop ... (voir le Portet d'Aspet !).

Reste la selle, pièce maîtresse du vélo. Mal conseillé jusqu'alors, c'est un accessoire que j'avais toujours négligé, pensant qu'il n'y avait aucun remède. Puis vint un sorcier et son lubrifiant miraculeux ... (travaillé par mes soins). C'est là, je crois, la principale satisfaction de ce raid. Si j'avais connu, ou su, plus tôt ... bien des malheurs auraient été soulagés. Alors ... "choyez et attendrissez-la de tout votre coeur". Ma selle a plus de 14 ans de règne et des centaines de milliers de kilomètres ...

Alimentation : il y a beaucoup à dire ... Pas de recette-miracle pour moi puisque je ne vais plus au restaurant, je fais des repas froids et modérés, le plus souvent à une vitesse record ... Mais le fromage blanc à 45%, sucré à volonté, a été une grande découverte. Avec une recommandation à tous : la frugalité !

Pour la boisson, du "château la pompe" ... un petit café tous les matins avec du supplément seulement quand le besoin s'en fait sentir et quelques Cocas en période de grande chaleur.

Pour le couchage, évidemment l'hôtel est banni. Si vous vous habituez au confort, vous pouvez abandonner l'espoir de faire une performance. Seul reste valable (pour moi !) le duvet. Même en période de froidure, c'est l'idéal ! Mais évitez quand même de dormir dans les champs ... (une coutume qui s'acquiert difficilement !)

Enfin, si je dois conclure avec un dernier conseil, il serait celui-ci :

"Faites du vélo soit ! Mais ne suivez jamais mon exemple ! "

Un cas ... PATRICK PLAINE

P.S. : dépense totale pour ce raid : 545 F.

Note du webmaster :

Le record de Patrick Plaine a longtemps résisté aux tentatives lancées par plusieurs grands randonneurs : ainsi, en 2008, Guillaume LELOUP boucla son Tour en 13 jours 10 heures et 30 minutes, soit seulement 1 heure et 30 minutes de plus que Patrick Plaine. Mais en juillet 2011, le Belge Kristof ALLEGAERT termine en 13 jours 2 heures et 15 minutes, tout en dormant à l'hôtel. Sa "méthode" est plus proche de celle de Jean RICHARD que de celle de Patrick PLAINE. Depuis Kristof ALLEGAERT a remporté, en 2013 et 2014, sans opposition réelle, la "Transcontinental Race", soit 3827 km de Londres à Istanbul, sans assistance, en moins de 8 jours. Celà met en évidence le très haut niveau de la performance réalisée par Patrick PLAINE, il y a près de 40 ans.